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N° 71

Le tableau n’a pas livré tous ses secrets. Après une étude plus approfondie, il apparait sous le vernis jaunis que le cavalier représenté sur la droite dirige sa lance rouge vers un mystérieux blason armorié… Adjugé 145000 € Marteau

Le tableau est dans un état de conservation non homogène: en particulier, le manteau bleu de la Vierge apparaît aujourd’hui repeint et est dépourvu de l’articulation de plis qui devait l’animer à l’origine.  L’usure de la surface picturale a fait que la robe rouge de Maria a perdu la plupart des glaçures de la laque de garantie qui la rendaient plus précieuse;  même le bijou qui maintient le manteau sur la poitrine de la Vierge doit certainement avoir apparu à l’origine plus étincelant qu’il ne l’est maintenant.  D’autres parties semblent beaucoup mieux lisibles, comme les incarnations des personnages ou le beau morceau de roche à droite, où les lumières et les ombres courent le long des crêtes, donnant un caractère humide et mystérieux à ce morceau de nature.  Une fissure traverse verticalement le tableau, probablement causée – comme le suggère M.me Laurence Baron Calegari dans son rapport sur l’état de conservation de l’œuvre par l’action de l’humoriste, qui n’est pas celle d’origine et qui a été clouée directement sur le support, empêchant le tassement normal du bois.  Au dos du tableau subsistent deux cachets de cire, très abîmés: l’un est totalement illisible, l’autre contient évidemment des initiales entrelacées, mais son état fragmentaire n’a pas permis de l’identifier. 

Mary, aux traits d’adolescente, tourne son regard vers son fils allongé sur ses genoux, joignant ses mains dans un acte d’adoration.  Séparée de nous spectateurs par un parapet dont se détachent deux [cerises?), Elle est assise sur un banc de marbre, dont on devine le profil de la volute à droite.  Tout autour s’étale un paysage suggestif, très varié: à droite se dresse un haut éperon rocheux, hérissé de rochers et sillonné de crevasses, sur lesquelles pousse une épaisse végétation;  au pied de la falaise passe une route sur laquelle le peintre a imaginé un fantassin et un chevalier lancés au galop.  A gauche, notre regard peut au contraire balayer jusqu’à l’horizon, dans une succession de collines verdoyantes parmi lesquelles la silhouette d’une ville pleine de tours, frontons et dômes, évoquée avec des signes légers et presque immatériels, apparaît comme dans une vision: dans le fond, les montagnes se confondent avec le bleu du ciel.  Dans cette atmosphère idyllique la figure de l’enfant Jésus est un peu surprenante, habile alors qu’il adresse le geste de bénédiction au spectateur avec une expression légèrement boudeuse, trébuche nerveusement, essayant de se libérer du voile transparent qui l’entoure.

Chaque aspect de ce tableau important, évidemment né d’une dévotion privée et jusqu’alors inconnu des études, renvoie définitivement à la peinture ombrienne de la fin du XVe siècle, et plus précisément au monde figuratif de Bernardino di Betto, surnommé Pintoricchio (ou Pinturicchio). 

Depuis le début, qui a eu lieu vers 1475, jusqu’à sa mort en 1513, Pintoricchio a été l’un des principaux protagonistes de la scène picturale non seulement en Ombrie – sa région – mais aussi à Rome et à Sienne.  Par sujet et format, le tableau en question peut être bien comparé à des œuvres similaires peintes par le maître tout au long de la période chronologique de sa carrière.  Par exemple, on peut citer la Vierge de la Gemaeldegalerie à Berlin (inv. 1481, 50,5 x 39 cm; encore assez jeune, vers 1480) ou celle, un peu plus tard, du Musée national de Varsovie.

Dans les deux la coupe de trois quarts de la figure de la Vierge se produit, la relation entre les personnages et le paysage est similaire, le ton doucement sentimental est très similaire.  La paroi rocheuse escarpée du tableau en question est également un élément récurrent dans la production de l’artiste ombrien, qui a reproposé cette conformation orographique suggestive avec des variations infinies dans les peintures sur panneaux et les fresques.  La version la plus proche de la nôtre est celle qui apparaît dans la Vierge à l’Enfant de la National Gallery de Londres (inv. NG703, 53,5 x 35,5 cm).  Même les détails infimes tels que le faucon plongeant sur le canard volant dans la partie supérieure du tableau, le chevalier en arrière-plan, la forme même du fermoir bijou sont ponctuellement dérivés des modèles de Pinturicchio.  En revanche, l’idée même de la Vierge en adoration de son propre fils n’est pas inconnue du maître, qui l’a utilisée dans la Madone du Museum of Art de Cleveland et dans celle (de son atelier) aujourd’hui à le Musée d’Art d’Honolulu. 

Cependant, si l’on descend des personnages généraux à une comparaison stylistique plus particulière, on se rend compte que le tableau présenté ici diffère de certaines œuvres de Pintoricchio pour une caractérisation personnelle et indépendante des personnages: la mère, si gracieusement jeune et souriante, n’a pas la hauteur aristocratique et solennelle des madones de Pintoricchio;  puis il y a quelque chose de plus doux dans ses traits, dans la rondeur des joues ou dans le nez rendu avec un aperçu très efficace.  De même, l’enfant, aux proportions minuscules, un peu affalé, au regard sévère et curieux, se détache des petits de plus en plus gracieux, polis, légèrement sucrés de Pintoricchio. 

Peintre au succès extraordinaire, à Rome comme en Ombrie, Pintoricchio dut bientôt se doter d’un atelier, bondé de jeunes collaborateurs.  Parmi ceux identifiés jusqu’à présent de manière plus convaincante par les critiques (comme Antonio di Massaro de Lazio, connu sous le nom de Pastura), aucun ne montre les personnages originaux de notre Vierge et enfant,

[Cependant, il existe un groupe de peintures à Pérouse, Assise et Rome, certainement faite dans la région de Pintoricchio, qui a des affinités stylistiques et iconographiques particulièrement suggestives avec la pièce en question, On a supposé que ce petit corpus pouvait être attribué au mystérieux Andrea da Assisi, appelé L’Ingegno (documenté à partir de 1480, décédé avant 1521), un artiste dont parle également Giorgio Vasari, bien qu’avec des informations largement peu fiables (sur lui voir Sylvia Ferino Pagden, Glt frescoes of the Madonnuccia ‘in San Martino in Campo and the énigma of Andrea d’ Assist dit L’Ingegno « , in » Esercizi « , 4. 1981, pp. 68-85; Filippo Todini, La Pittura Umbra., 2 volumes, Milan 1989, pp. 91 sq.). En l’absence de tout documentaire confirmation, il convient pour le moment de continuer à parler  « boutique de Pintoriechio »].

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